31/08/2014

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Israël, Gaza, Jaurès et Dreyfus


En cette année de commémoration de l'assassinat de Jean Jaurès, il est intéressant de s'interroger sur quel aurait pu être le message du député du Tarn concernant le conflit opposant Israël et Gaza. En s'appuyant sur le cheminement du socialiste concernant l'affaire Dreyfus, il semble possible d’apporter quelques réponses à cette question.


En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, militaire bourgeois de confession juive, est accusé de haute trahison par un tribunal militaire qui le condamne au bagne à perpétuité. Dreyfus rejette catégoriquement ces accusassions et dénonce un complot dirigé contre lui. Un comité de soutient se forme pour le défendre avec, en autre, la parution du célèbre « J'accuse » de Zola. En 1898, année de la révélation du faux commis par le commandant Henry, Jean Jaurès, qui était jusque là plutôt convaincu de la culpabilité de Dreyfus, va alors s'engager dans la défense du militaire bourgeois, qui sera officiellement reconnu innocent en 1906.


À une époque où la conscience de lutte de classe était très vive, où les militaires réprimaient les révoltes ouvrières et où le ressentiment envers les juifs était assez prononcé, il ne va pas de soi pour un socialiste de défendre quelqu'un comme Dreyfus. À l'image de Jules Guesdes, les socialistes ne se sentent pas concernés par ce combat jugé non prioritaire : « à quoi bon défendre un bourgeois alors que le prolétariat a sa classe à sauver, a l'humanité à sauver ?  ». La position de Jaurès est donc minoritaire au sein des socialistes, mais en expliquant avec éloquence qu'il faut placer la justice au dessus du combat de lutte de classe, il va finir par convaincre son camp: « Si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, comme je le démontrerai bientôt, il est innocent, il n'est plus ni un officier ni un bourgeois : il est dépouillé, par l'excès même du malheur, de tout caractère de classe; il n'est plus que l'humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qu'on puisse imaginer. [...] Nous pouvons, sans contredire nos principes et sans manquer à la lutte des classes, écouter le cri de notre pitié; nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l'humanité. » [1].


Après cette brève parenthèse historique, revenons en 2014.


L'opération bordure protectrice déclenchée par Israël contre la bande de gaza, compte 69 morts israéliens dont 4 civils incluant 1 enfant, 2104 morts palestiniens dont 70 % de civils incluant 492 enfants, de nombreuses destructions parmi lesquelles des écoles, des universités, des hôpitaux, des maisons (108 000 palestiniens ont perdu leur maison) [2]. Face à ces chiffres, le déluge de feu qui s'est abattu sur Gaza paraît difficilement défendable. Pour tenter de justifier les pertes civiles palestiniennes, le gouvernement israélien pointe du doigt la responsabilité du Hamas, accusé de prendre en otage la population. Néanmoins, il est difficile de croire que si des extrémistes prennent un jour en otage une école israélienne, Tsahal bombardera l'école aveuglément.


Il semble donc que, comme Jules Guesdes pendant l'affaire Dreyfus – dans un contexte beaucoup plus dramatique étant donnée les pertes humaines – le gouvernement israélien fasse passer son combat contre le Hamas avant les règles de justice. Il faut bien sûr condamner les tirs de roquettes palestiniennes, mais les tueries d'innocents n'ont jamais fait progresser la paix. Au contraire, l'injustice alimente le ressentiment des populations et nourrit l'extrémisme. On peut donc regretter que les Jaurès de ce conflit, c'est à dire ceux qui sont prêt à aller contre leur clan au nom de la justice, ceux qui sont capables de défendre avec la même vigueur des enfants palestiniens et des enfants israéliens, soit si peut nombreux. Jaurès nous a appris à regarder d'abord une personne comme un citoyen de l'humanité, possédant des droits, avant tout autre critère. C'est en dépassant ses préjugés que la justice se renforce. On peut aussi regretter que ce positionnement ne soit pas clairement porté par le gouvernement français. Seule petite éclaircie, l'adhésion de la Palestine à la cour pénale internationale qui devrait permettre de poursuivre les criminels présents dans les deux camps.

En comprenant le cheminement intellectuel de Jaurès pendant l'affaire Dreyfus, on peut esquisser le message qu'il aurait pu donner au sujet de la guerre entre Israël et Gaza. Un message républicain, demandant à chacun de placer son humanité au dessus de sa communauté.



[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Jaur%C3%A8s

[2] http://www.ochaopt.org