27/01/2019

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Décryptage de la stratégie de la classe dominante

pour combattre les gilets jaunes



Après quelques semaines d’observation, où tout le monde s’interrogeait sur la nature du mouvement des gilets jaunes, la diffusion des premières listes de revendications ont permis de mieux situer ce mouvement. La classe dominante a alors pris conscience qu’elle était attaquée, et a pu mettre en place toute une stratégie pour se défendre.



La revendication de départ des gilets jaunes portait sur le refus de l’augmentation des taxes sur les carburants, taxe qui devait bénéficier au financement de la transition énergétique. Une partie de la droite a vu dans cette revendication une certaine filiation poujadiste, anti-état et anti-écologique. Ainsi, on observe au début du mouvement un certain soutien de la part de la droite républicaine et une bienveillance de la part des média. De même, la classe dominante pouvait voir d’un bon œil ces manifestations qui officialisaient la fin des syndicats, dans une société où l’individualisme l’avait définitivement emporter sur les structures collectives. La dernière pierre du mur de Berlin semblait donc définitivement tombée.

Mais voila, une fois que remontent les premières revendications de ce mouvement complètement décentralisé, c’est la surprise car les propositions qui reviennent le plus souvent sont assez éloignées de cette première impression, comme si la taxe sur les carburants n’avait été qu’un arbre qui cachait la forêt. Ainsi, elles portent sur plus de démocratie participative (référendum d’initiative citoyenne), plus de justice sociale (impôt plus progressif, taxe sur les grandes entreprises, baisse des loyers, hausse du SMIC) et sur plus d’écologie non punitive (consommation locale, sobriété). La classe dominante prend alors conscience qu’elle est face à une révolte sociale, qui l’attaque sur trois fronts : la démocratie participative lui retirerait une grande partie de son pouvoir, la justice sociale une grande partie de son patrimoine et l’écologie non punitive, une grande partie de son socle idéologique basé sur le consumérisme et la mondialisation néolibérale. Elle va alors s’adapter pour combattre ce mouvement, en utilisant les multiples moyens dont elle dispose. Il faut noter que l’on trouve aussi chez certains gilets jaunes des revendications assez proches des thématiques de la droite conservatrice, voir de l’extrême droite xénophobe. Cela s’explique par la diversité de ce mouvement, et son ambiguïté intrinsèque. Néanmoins, dans ce brouhaha revendicatif, il semble bien que les revendications démocratiques et de justice sociale demeurent largement majoritaires.


La classe dominante va d’abord commencer par rappeler ses partis traditionnels et à partir de ce moment « Les Républicains » vont se détacher du mouvement. De même l’approche de LREM va changer, après un premier regard condescendant de voir ces « grands gamins » camper sur les ronds points, le ton va se durcir : les barrages doivent être levés au plus vite.

Ensuite, elle va œuvrer pour discréditer le mouvement en stimulant les casseurs lors des manifestations (au péril de la sécurité des policiers), en faisant porter la responsabilité des morts et des blessés sur les gilets jaunes et en déclarant que le mouvement est piloté par l’extrême droite. Cette première contre-attaque échoue et le mouvement reste très populaire au sein de la population.


La classe dominante prend alors conscience qu’il va falloir céder en partie, au moins pour diviser le mouvement et pour essayer de casser le soutien des Français. D’une manière extrêmement habile, elle va faire des concessions qui ne l’impacteront pas, en faisant financer les mesures par la sécurité sociale. Il faut bien comprendre que le budget de la sécurité sociale, c’est une sorte de pot commun qui est rempli par les Français et alloué pour eux. Si les cotisations baissent, il est possible qu’à titre individuel on se retrouve gagnant, mais, en moyenne, les Français sont perdants car il faudra bien prendre en compte la baisse du budget, soit en diminuant les prestations, soit en trouvant de nouvelles recettes. Ainsi, les mesures sur l’ISF, la « flat tax », l’« exit tax » et les exonérations pour les entreprises ne sont pas remises en cause par le gouvernement. De même, il n’y a pas d’augmentation prévue pour le SMIC.

De plus, toujours de manière très habile, certaines mesures annoncées consistent à apporter une réponse plutôt de droite, voir d’extrême droite, afin de casser l’élan des revendications sociales et démocratiques. Ainsi, en remettant une mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy sur la défiscalisation des heures supplémentaires, et en ajoutant le thème de l’identité national dans le grand débat national, les revendications plus sociales et démocratiques sont éclipsées.

Par ailleurs, les mesures prises par le gouvernement font déraper le déficit public. La France s’écarte de son objectif européen d’atteindre moins de 3 % de déficit et devient le dernier élève de la zone euro. Cette politique fiscale augmente les risques d’une attaque des marchés sur la dette française et renforce le manque de consentement à l’impôt des classes aisées, ce qui demeure problématique pour l’avenir du pays.


Cette stratégie a en partie fonctionné, au moins dans un premier temps. Néanmoins, la vrai nature et l’insuffisance de ces mesures sont vite apparus et le mouvement s’est réduit mais ne s’est pas éteint.

Le gouvernement, toujours à l’offensive, va alors s’assurer du soutien des forces de l’ordre en proposant une augmentation de plus de 100 Euro net pour les policiers, ce qui, en ces temps de gel des salaires des fonctionnaires, est absolument considérable. L’objectif va être ensuite d’étouffer les manifestants récalcitrants en multipliant les interpellations, en impressionnant et discréditant les portes paroles, en dénigrant les revendications des gilets jaunes et en accentuant la gestion musclée des manifestations. Il s’agit aussi pour la classe dirigeante de gagner du temps. Tenir jusqu’aux prochaines élections pour retrouver de la légitimité en œuvrant pour que la France silencieuse vote majoritairement pour le parti au pouvoir, via une campagne de communication agressive, et en espérant que les Français se lasseront des gilets jaunes. La mise en place du grand débat se place dans cette perspective, il terminera quelques semaines avant le début de la campagne pour les européennes.


Nous sommes donc actuellement dans une guerre de communication, entre un bloc qui souhaite bénéficier de plus de pouvoir démocratique et de plus de pouvoir d’achat, et un autre bloc qui ne veut rien lâcher de ses privilèges. Cette guerre de communication sera ponctuée par les élections européennes, éventuellement les élections régionales et départementales, et si personne n’a vaincu d’ici là, l’élection présidentielle de 2022.


L’élection d’Emmanuel Macron, qui a rassemblé la classe dominante de droite et la classe dominante de gauche, a matérialisé la fracture de classe qui existe dans notre pays. Les gilets jaunes sont la résultantes de ce clivage, et nous sommes maintenant dans une guerre de position entre ces deux camps. Si les gilets jaunes continuent à clamer leurs aspirations de démocratie participative, de justice sociale et d’écologie non punitive, porteurs des valeurs de la république (liberté égalité et fraternité), condamnant les actes xénophobes, ils ne plieront pas devant la cupidité, le mercantilisme, le narcissisme et l’égoïsme de la classe dominante, dont l’idéologie ne peut constituer un projet de société. En agglomérant en plus une partie de la société civile et des partis progressistes, un bloc capable de peser suffisamment pour modifier l’ordre actuel pourrait se constituer.